L i b r e

Aujourd'hui, le soleil s’était fait porter pâle, se cachant discrètement derrière de lourds nuages aux teintes sombres. Aujourd'hui, et ce pour la dixième fois en une semaine, la tempête faisait rage à l'extérieur. La neige s'écrasait en gros flocons sur le sol déjà gelé, formant une petite couche translucide sur le bitume, avant de disparaître sous la roue d'une grosse voiture. La circulation était bloquée à certains endroits, notamment en dehors de la ville. Les journaux télévisés s'affolaient autour de cette neige qui ne cessait de tomber depuis des jours, bloquant totalement les aéroports. Il y avait eu énormément de pannes d'électricités à Denver, et autant dire que cela n'arrangeait personne. Confortablement installé derrière une fenêtre, Reid lâcha un énième soupir, ses yeux verts parcourant l'horizon bloqué par cette masse blanche. Le jeune homme s'ennuyait à mourir. Ce qui, d'ailleurs, ne tarda pas à agacer Casey, qui se tenait un peu plus loin, avachit sur le sofa. « Bordel, Reid. T'as pas autre chose à faire ? » Reid détourna la tête pour regarder Casey. C'était en partie grâce à lui qu'il se trouvait à Denver à l'heure d'aujourd'hui. S'il ne lui avait pas proposé de l'héberger, il serait probablement rester à Portland, à subir les ordres de son Colonel de père. Ou peut-être pas. En réalité, Reid savait qu'il n'aurait jamais pu subir les remarques de son père plus longtemps. Il avait juste trouvé l'occasion idéale de partir. Et au final, c'était bel et bien grâce à son ami. Le jeune homme haussa vaguement les épaules, avant de s'écarter légèrement des carreaux gelés. « Et toi, je suppose que tu es obligé de venir squatter chez moi, n'est-ce-pas... » La grimace que poussa Casey fit sourire le garçon. Il jeta le journal qu'il tenait dans les mains sur la table basse en bois. « Au fait, tu as des nouvelles de... Tu sais qui ? » L'américain leva les yeux au ciel, avant de se redresser, pour chercher son paquet de cigarette dans la petite cuisine. « Non. » De quoi était-il en train de parler ? C'était relativement simple. Depuis quelques années, Casey avait fait entrer Reid dans un petit groupe de motard. Petit groupe, mais très puissant. Et dans ce groupe, il était le seul à ne pas avoir de casier judiciaire. Grâce à ça, il avait pu entrer facilement à l'académie de police. Quant à savoir pourquoi il y était entré, les raisons étaient mystérieuses. D'autant plus qu'il devait faire attention de ne pas se faire trop voir avec ses amis, afin de ne pas se faire virer. Reid était un infiltré. Et comme il n'était pas du coin, il n'avait même pas eu besoin de se créer une idendité. « Tu sais, va falloir te bouger un peu. Sinon, j'en connais un qui ne va pas être content. » Reid fixa Casey pendant quelques secondes, une cigarette à moitié sortie de son paquet et encore éteinte dans la main droite. Pourquoi est-ce que tout reposait à chaque fois sur ses épaules ? Et les autres, alors, ils étaient handicapés ? Exaspéré, il lâcha un autre soupir, avant de ramasser sa veste en cuir par terre. Sans même un regard vers son ami, les mâchoires serrées, il se dirigea vers la porte d'entrée. « Reid ! Où tu vas ?! » « Acheter de la drogue au dealeur qui se tient au coin de la rue. » Un instant, Casey sembla réfléchir, puisqu'il ne répondit rien. « Hein ? Nan mais sérieusement, tu vas pas me laisser seul ici ! » Reid lâcha un dernier rire, avant d'ouvrir la porte. « J'vais me promener, abruti. » Il claqua la porte derrière lui, et descendit les escaliers de son immeuble quatre à quatre. Il lui sembla entendre Casey qui le traîtait de cinglé, ce qui l'amusa encore plus.

Dehors, le froid lui piqua les joues. Reid inspira profondément. Ces quelques heures à rester enfermé avec Casey lui avait donné envie de prendre l'air. Il se mit alors à marcher dans le froid hivernal. Il traversa ainsi tout le quartier Est, avant de se retrouver en plein milieu du centre-ville. Le jeune homme continua sa route, en réfléchissant à ce que lui avait dit Casey tout à l'heure. Depuis son arrivée à Denver il y a quelques années, sa vie avait prit un nouveau tournant, et pas des moindres. Il y avait d'abord eu ce gang, dans lequel il était entré assez facilement, liant une amitié presque sincère avec les autres membres. Il vivait une toute autre vie que celle qu'il avait eu à Portland. Il était devenu un vrai dur, un vrai rebel. Reid avait enfin la vie qu'il voulait. Puis, avec le temps, les crimes que ses amis avaient l'habitude de faire s'étaient aggravés. Et contre toute attente, Reid avait finalement été d'accord pour rentrer dans la Police, et les raisons étaient loin d'êtres correctes. Mais enfin, sa vie lui convenait plutôt bien, pour l'instant. Le point noir dans l'histoire, c'était peut-être son frère, Jarett. Il n'avait pas de nouvelles depuis presque cinq ans. Et même s'il n'osait pas le reconnaître, Reid se faisait beaucoup de souci. Dans l'histoire, son frère n'y était pour rien, il n'avait rien à lui reprocher. S'il était parti, c'était de la faute de son père. Et non pas à cause d'autre chose.

Plongé dans ses pensées, Reid avançait droit devant lui, tête baissée. Lorsqu'il revînt sur terre, le jeune homme se rendit compte qu'il s'était considérablement éloigné, puisque la nuit commençait doucement à tomber. Le garçon fit le tour des environs à l'aide de ses yeux. Il se trouvait pile devant un petit bar, aux allures de vieux pub irlandais. Il habitait depuis assez longtemps dans le coin et pourtant, Reid n'avait jamais fait attention à ce bar. La buée sur les vitres l'empêchait de voir à l'intérieur de l'établissement mais on pouvait entendre depuis l'extérieur le brouhaha qui y régnait. Après une petite seconde d'hésitation, Reid poussa doucement la porte, qui grinça bruyamment. Il fût immédiatement imprégné par une odeur d'alcool et de cigarette. Les gens ne se retournèrent même pas, trop occupés à faire autre chose. Reid ne se fit pas prier pour s'installer dans un recoin sombre, près du bar. Le vieux barman qui se tenait tout au fond s'approcha d'un pas lourd, l'interrogeant du regard. « Une bière. » L'homme hôcha la tête, avant de se retourner pour lui en servir une.

L'ennui gagna rapidement Reid. Ses yeux balayèrent l'intérieur de l'établissement une énième fois. Personne ne semblait se préoccuper de la neige qui tombait toujours en cascade à l'extérieur. Le jeune homme se frotta les mains l'une contre l'autre, cherchant encore un moyen de réchauffer son corps qui, malgré la chaleur ambiante, ne parvenait pas à faire augmenter sa température. Le vieil homme qui tenait le bar posa d'un geste lourd sa bière sur le comptoir. Reid le remercia rapidement d'un hochement de tête. Finalement, ce n'était peut-être pas une si bonne idée de venir ici... Au moins, en restant avec Casey, il aurait pu... En fait, ça aussi, c'était une mauvaise idée. Reid ne ressentait pas vraiment l'envie de l'entendre parler pour ne rien dire. Ce mec avait le don de savoir emmerder les gens en un rien de temps. Et, d'ailleurs, lorsque Reid sentit son portable vibrer au fond de sa poche, il ne put s'empêcher de lâcher un autre soupir. C'était probablement lui qui s'ennuyait, ou qui avait faim. Reid avait l'impression de devoir veiller sur lui, alors qu'il était tout à fait capable de s'occuper de lui tout seul. L'américain décida de ne pas répondre. Au pire, s'il voulait juste le prévenir qu'il avait terminé sa période de squat chez lui, il n'aurait qu'à cacher les clés quelque part dans l'entrée. Dans le cas contraire, il n'avait qu'à se débrouiller un peu tout seul, comme un adulte normal. Reid détourna la tête vers les vitres, dont la buée était toujours présente. Toutefois, on pouvait distinguer la masse blanche qui tombait du ciel et qui brouillait toujours la circulation. Lorsque le jeune homme se retourna à nouveau, le bar n'avait absolument pas changé. Comme un tableau, dont les couleurs restent intactes à jamais. L'odeur boisée qui remontait doucement des contoirs donnait à l'atmosphère un air chaleureux. Au fond du bar, près des tables de billards, des hommes s'amusaient, se donnant parfois de gros coup de coudes. D'un autre côté, des gens discutaient, comme plongé chacun dans une bulle bien précise où rien ne compte, hormis l'instant présent. Il n'y avait que quelques hommes au comptoir, dont Reid, qui lui était seul dans un coin où la lumière faisait défaut. Au moins, niveau tranquilité, il avait trouvé la bonne place.

Ce n'est qu'au bout d'un certain temps que le tableau se mit à bouger un peu. Après la dispute de deux hommes, l'un d'eux quitta l'établissement d'un pas si lourd qu'il pouvait probablement être comparé à celui d'un pachyderme. Et au moment où cette personne quitta le bar, une autre pénétra à l'intérieur. Il lâcha un rapide « bonsoir » que personne hormis Reid n'écouta, avant de s'installer. Il commanda également une bière. Au départ, Reid ne fit pas vraiment attention à cet homme. Il regardait un peu partout ailleurs, détaillant la décoration du bar. Ou du moins si on pouvait appeler ça comme cela puisque tous les murs étaient surchargés de photos diverses. Puis, lorsque l'américain fit à nouveau attention aux gens qui rentraient et sortaient, il fût surprit de reconnaître l'homme qui se tenait non loin de lui. « Michael ?! » Personne ne fit attention à l'exclamation de Reid. A croire qu'ils se trouvaient réellement dans une bulle. Ou alors, ils n'en avaient simplement rien à cadrer.

Sur le coup, Reid fut agréablement surpris de voir Michael dans ce bar. Jamais il n'aurait songé pouvoir le croiser dans un endroit pareil, c'est à croire que la terre est petite. L'américain lança un rapide sourire à son ami. Ami qui, d'ailleurs, lui servait également de coéquipier au boulot. De ce fait, ils se connaissaient plutôt bien, et avaient l'habitude de travailler de longues et parfois pénibles heures ensemble. Toutefois, Reid devait reconnaître que le travail était toujours plus simple en équipe. Et surtout plus agréable. C'était au moins une des seules choses qu'il pouvait apprécier de son métier. Parce que sinon, il aurait peut-être préféré s'enfuir loin de cette ville et répéter le même scénario une seconde fois. Mais avec la différence d'avoir une bande de biker et un grand boss sur le dos. Au moins, sa vie aurait été encore plus mouvementé. D'autant plus qu'il connaissait déjà la fin de l'histoire : au fond d'un trou, coincé dans un cercueil. Ou peut-être même pas. Juste au fond d'un trou, c'était suffisant pour des mecs comme ceux-là. Un lâche n'avait pas besoin d'autre chose que d'un trou en plein milieu de l'Arizona. Cette pensée aurait presque pu le faire rire, d'ailleurs. Mais au fond, Reid savait qu'il était coincé pour de bon. Et puis, après réflexion, c'était quand même un comble. Reid Kennedy dans la Police... Et dire qu'il s'était barré de Portland pour ne pas entrer à l'école militaire. A vrai dire, il était loin de supporter les ordres, même si aujourd'hui, il ne faisait qu'obéir à ce qu'on lui demandait de faire. Le pire, dans l'histoire, c'était qu'il ne craignait même pas ces mecs. A croire que ça l'éclatait vraiment de faire ça. « Franchement, moi non plus. Je me suis retrouvé ici par hasard. » Reid jugea inutile de préciser que son « meilleur ami » squattait sans gêne son appartement, qu'il l'emmerdait avec une histoire malsaine encore en cours et que de ce fait, il avait préféré ce gêler les fesses dans le froid hivernal du Colorado. Le jeune homme sourit à nouveau. « Eh bien, hormis la neige qui commence à me taper sérieusement sur le système, je vais plutôt bien. Et toi ? » Certes, il aurait dû être habitué à la neige, puisqu'il venait du Nord. Mais la neige dans l'Oregon comparé à cet endroit... Ce n'était rien du tout. Et les températures étaient plus supportables. Quelle idée d'être venu, là... Pourtant, Reid n'en était pas à son premier hiver. Cela faisait presque six ans qu'il vivait à Denver, et depuis, il ne s'était toujours pas habitué aux hivers rigoureux. « Mais dis-moi, tu viens souvent ici ? » D'habitude, Reid ne disait pas la première chose qui lui passait à l'esprit. A vrai dire, il évitait même parfois de parler, afin de ne pas éveiller de soupçon concernant ses fréquentations ou même ce qu'il faisait en dehors du travail. Depuis qu'il était entré chez les flics, ils bossaient d'arrache-pied pour trouver les plus gros criminels de Denver. Et depuis presque cinq ans, personne n'avait jamais fait attention au fait que lui, Reid Kennedy, faisait partie d'un des groupes de délinquant les plus recherchés de tout l'État du Colorado. Il se devait donc d'être discret. A moins de vouloir passer quelques années derrière les barreaux...

Reid se mit à rire. Personne n'appréciait réellement cette neige, excepté les enfants. Pour un adulte normal, la neige est une source d'emmerde potentielle. Qui dit circulation bloquée dit également risque d'arriver en retard au travail. Qui dit plaques de verglas, dit aussi risque de se briser quelque chose. Et, pire d'entre tous... Qui dit neige, dit beaucoup de travail pour les services publiques de la ville. À cette pensée, Reid lâcha un soupir. Déjà que ce n'était pas toujours un cadeau d'aller bosser dans le froid... « Je pense qu'on cherche tous à éviter le froid. Puis vu le nombre de coupures d'électricité en ville... Ca devient vraiment compliqué. » Le jeune homme porta rapidement sa bière jusqu'à ses lèvres. Il commença par boire tout doucement le contenu du verre, avant de reposer ce dernier sur le comptoir après en avoir bu plus de la moitié. « Je sens qu'on va avoir du boulot, demain. On va bien s'amuser ! » Le ton ironique qu'emploiyait Reid convenait parfaitement à la situation. Les gens appelaient souvent les forces de police pour tout et n'importe quoi. Et forcément, ils n'avaient d'autres choix que de se déplacer à la moindre petite alerte. Reid n'appréciait vraiment pas ce côté des choses. Au choix, il préférait se charger d'affaires plus complexes, avec de vrais criminels. Mais cette filière étant la plus prisée, se faire une place sur une affaire devenait relativement rare. « T'es pas flic pour rien, toi ! Tu as rapidement fais le rapport entre les différents éléments... Bravo. » Reid lâcha un petit rire. Il ne se foutait pas de son ami, même si son humour restait parfois douteux. « On est là pour les mêmes raisons visiblement... Comme je suis assez loin de chez moi, j'ai préféré venir me réchauffer ici. » A vrai dire, le jeune homme ne s'était même pas aperçu que sa marche avait été si longue. Il avait fait un sacré bout de chemin depuis le quartier Est de Denver, et tout cela sans même utiliser les transports en commun. D'autant plus qu'il avait prêté sa voiture à un ami durant quelques jours. De toute évidence, il n'en avait pas besoin pour travailler, vu qu'il était obligé d'utiliser un véhicule de fonction. Et puis Reid ne vivait qu'à une vingtaine de minutes du poste de police, il pouvait prendre le bus, ou même marcher. De toute façon, il était obligé de s'arrêter au poste avant de se rendre à l'académie, si toutefois il avait été affecté là-bas dans la journée. L'américain redescendit sur terre lorsque Michael lui tendit son paquet de cigarette. Un petit sourire se dessina sur les lèvres de Reid. Du bout des doigts, il en attrapa une. « Merci. » D'ailleurs, cela tombait rien. A cause de Casey, Reid avait posé son paquet dans l'entrée et l'avait complètement oublié en partant. Le garçon sourit à nouveau. Il regarda autour de lui, se rendant compte que le bar avait changé depuis les dernières dix minutes. De nouvelles personnes étaient arrivées, la plupart étant visiblement plus jeunes. Il n'y avait donc pas que des vieux, là-dedans...